Résistance/ Rezistans : Miroir d’une société au bord du précipice

Par : Mardochee Gay

Summum Info Haiti - Le 5 octobre 2024

 En Octobre 2022, Schneider Vertus a publié son premier essai intitulé Résistance / Rezistans aux éditions Flèche Rose. Deux années après sa parution, la substance de cet œuvre poignante est encore actuelle. Entre la recrudescence de la violence et l’indifférence de l’État se trouve une population totalement impuissante. Face à cette réalité oppressante, Schneider s’est fait porte - parole d’un peuple qui ne peut se défendre de sa détresse.

1. Qui est Schneider Vertus?

Schneider est né un 06 Octobre à Carrefour. Membre actif du groupe socio-culturel « Le Classique Haïti», il a fait des études en chimie,  en journalisme et en marketing. Animé par le désir de s’engager dans sa communauté , il a co-fondé Flèche Rose Club littéraire en Août 2021.

 Avec son frère - volcan, JC Roosvelt, il a réalisé en Décembre 2022 la troisième édition du festival « Alegria » à Rivière Froide. L’occasion de mettre en valeur cette grande section communale qui porte le nom de sa mythique rivière. La carrière d’enseignant, d’activiste littéraire de Schneider et les expériences vécues avec ceux qui l’ont côtoyé ont fortement inspiré son écriture. À l’instar de l’écrivaine Brakni Rachidi, la plume de Schneider est une arme pour se faire l’écho de ceux qui n’ont pas de voix, son écriture reflète le réel de son époque. Son œuvre est le miroitement des préoccupations nationales.

2. Compte rendu de l’œuvre

D’entrée de jeu, Schneider Vertus a dédicacé son essai à cette génération de jeunes d’Haïti dont la mauvaise gouvernance met en péril leur avenir. Cela dit, cette dédicace s’inscrit dans une démarche où l’auteur se montre consterné par l’attitude et les actions crapuleuses de nos dirigeants.

En effet, au coeur de la notion de bonne gouvernance est gravée en filigrane l’idée de l’intérêt général. Au sein de la conscience collective haïtienne, le peuple nourrit avec amertume sa haine contre les injustices, la corruption , l’absence de projet politique et l’irresponsabilité de ceux qui sont concernés à garantir le bien commun.

Tel un miroir, l’essai de Schneider reflète à travers ses vingt neuf textes l’image d’un peuple livré à lui-même. D’une écriture bouleversante, en langue de Molière et dans notre langue vernaculaire, Schneider ne laisse pas étouffer son éloquence comme l’aurait pu dire le fameux poète Georges Castera. En ces circonstances, l’originaire de Carrefour dénonce avec ardeur l’ingérence perpétuelle des chefs de l’Etat à travers le texte « les bandits du palais national» ( p.35, éd. Octobre 2022).

Le texte « Lamentation » est une invocation à l’esprit du père de la nation, Dessalines. Lui qui s’est lutté pour que du sol soyons seuls maîtres ( La Dessalinienne, 4ème vers). Telle une correspondance adressée au premier empereur du pays, Schneider étale la récurrence des assassinats et des trahisons malhonnêtes perpétrés contre les fils et filles de ce pays.

Le manque de scrupule de nos dirigeants, la mesquinerie de nos politiciens et la petitesse des nantis du pays sont brutalement dénoncés par Schneider. De toute façon, ce ne sont pas les seuls. L’auteur ne mâche pas ses mots contre la faiblesse de l’appareil judiciaire et l’attitude déconcertante des institutions scolaires. Selon l’activiste littéraire, la plupart de ces dernières n’ont pour objectif qu’à accumuler des capitaux.

À l’image du titre de l’ouvrage, Schneider plonge le peuple aux entrailles de son identité. Une démarche qu’il entreprend en faisant énergiquement éloge du passé glorieux de l’haïtien. Si certains critiquent le fait que nous sommes trop attachés à nos exploits du passé, l’essayiste prend à contre pied ces allégations. Cela dit, Schneider croit de toute son âme que la reconnaissance de ces réalisations antérieures peut servir d’essence à la machine de la révolution. D’autant plus, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » , déclarait Maréchal Ferdinand Foch.

3. Contexte de publication

Comme mentionné ci-dessus, Résistance/ Rezistans est publiée pour la première fois en Octobre 2022 soit quinze mois après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Le peuple voyait son sort empiré avec la hausse de l’inflation et la misère qui battait à son plein. D’autant plus, la famine, la violence des gangs, les territoires perdus et la rareté des carburants constituaient toute une panoplie de problématiques sociales. D’une part, elles suscitaient indignation et inquiétude. D’autre part, débats et réflexions.

Comme l’a fait les écrivains de la période pionnière, au lendemain de 1804, Schneider ne se tait pas. Il transcrit les aspirations d’un peuple qui veut vivre dans la paix, circuler librement dans son pays, accéder au loisir et entreprendre des initiatives qui pourront donner sens à sa vie. Ainsi, l’enseignant invite la population agonisante à supporter avec fermeté ses malheurs en d’autres termes résister.

4. Comment aborder cette oeuvre?

Résistance / Rezistans est un texte qui a pratiquement tout souligné relativement aux malheurs de cette nation avec une grande histoire. En fait, Schneider ne se contente pas de dénoncer mais il a tout de même proposé. À travers le texte « Kenbe pi fèm » (p.81-82), il écrit:

« Nou dwe kontinye

Nou pa dwe dekouraje

Paske tank n ap byen fòme

Se tank yo santi yo menase ».

Cette déclaration exprime la vision progressiste de Schneider. Il croit qu’un changement pour le bien de tous doit forcément passer par l’éducation où l’enseignement des valeurs patriotiques est au premier rang. De cette perspective, le journaliste n’a pas seulement extériorisé sa frustration, le citoyen engagé invite le peuple à faire preuve de courage et de résilience. Il invite le peuple à se battre.

5. Où en sommes-nous aujourd’hui?

Selon la patrone de l’UNICEF Catherine Russel (Le Devoir, 2023), la situation d’Haiti n’a jamais été pire. Les conditions sont quasiment réunies pour une révolte ou un réveil national, comme le prône certains militants politiques. L’illustre philosophe français Albert Camus eût à déclarer dans son roman l’homme révolté (1951) : « La révolte est toujours motivée par le sentiment d’une injustice, faite non seulement à soi-même, mais à l’homme tout entier». Pour paraphraser ce même philosophe, Schneider se révolte à travers son œuvre car il estime que l’homme haïtien en tant que tel est attaqué.

6. En guise de conclusion

Tout compte fait, la plume de Schneider porte la voix d’une jeunesse délaissée, d’une population terrorisée par les gangs, d’une nation à bout de souffle.L’œuvre de ce fils de Carrefour nous plonge aux racines des maux de ce pays. On a tous conscience que c’est un chantier extrêmement étendu et les défis sont grands surtout avec l’aggravation de la crise. Mais il convient de ne pas se laisser faire, il convient de résister. Cependant une question est montée au créneau, cet appel lancé par Schneider suffit à lui-seul pour sortir ce pays de ce bourbier où l’impunité est la norme?